Intelligence collective

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«Ce qui n’était guère qu’une curiosité dans l’histoire de la pensée, à savoir que le rassemblement de nombreux jugements simples a un résultat plus complexe et plus précis que celui que donnerait un seul esprit expert, est de nos jours un fait majeur qui révolutionne notre manière de penser quotidienne et de prendre des décisions, un fait qu’il faut prendre au sérieux. 1»

L’intelligence collective sur Internet est définie par le philosophe canadien Pierre Lévy comme « le projet d’une intelligence variée, partout distribuée ; sans cesse valorisée, coordonnée et mise en synergie en temps réel ; et qui aboutit à une mobilisation effective des connaissances. 2»

Un groupe peut être plus intelligent que le plus intelligent de ses membres. Comment faire émerger cette intelligence ?

James Surowiecki, dans «The Wisdom of crowds 3» a établi une liste de critères qui,  s’ils sont respectés au sein d’un groupe, vont permettre à ce groupe de trouver des solutions qu’aucun membre n’aurait pu découvrir seul:
1. La diversité d’opinion: les membres doivent provenir de différents milieux ou domaines d’expertise;
2. L’indépendance des membres: Aucun membre ne doit avoir de l’influence sur l’opinion des autres;
3. La décentralisation: les êtres humains sont susceptibles de s’appuyer sur une connaissance locale;
4. L’agrégation: la présence de mécanismes qui transforment les jugements individuels en décisions collectives;
La philosophe Gloria Origgi ajoute à cette liste un cinquième critère :
5. La présence d’un moyen de classement;

Ces mêmes critères sont repris par Francis Heylighen, dans «Self-organization in Communicating Groups: the emergence of coordination, shared references and collective intelligence. 4» Dans sa recherche, il se penche sur le concept, de plus en plus populaire, d’auto-organisation et l’applique à l’émergence de l’intelligence collective.

La diversité d’opinions, permet selon lui, de couvrir le plus de pistes possibles et évite que les membres aient les mêmes préjugés. L’indépendance des membres du groupe, quant à elle,  permet d’éviter un alignement prématuré sur les contributions de chaque membre plutôt que sur les objectifs des contributions.

Ce que James Surowiecki appelle la décentralisation, Heylighen l’appel plutôt la division du travail. Il souligne sont importance dans le fait que les membres du groupe doivent être en mesure de réunir et de traiter l’information en parallèle pour qu’ils puissent, ensemble, couvrir le plus d’aspects possibles. L’intelligence collective nécessite des mécanismes tels le vote, le calcul d’une moyenne ou des discussions pour que l’ensemble des opinions puisse se traduire en une seule réponse collective.

Selon Francis Heylighen, le plus grand risque que court ce processus est le Groupthink ou la polarisation.  La polarisation est ce qui se produit lorsque l’auto-organisation s’est mal déroulée. Lorsque des interactions non-linéaires se sont produites entre les membres et que ceux-ci se sont alignés prématurément sur des solutions sans qu’on ait pu bénéficier de la contribution positive de la diversité et de la division du travail.

Je vois des similarités entre le modèle d’auto-organisation de Francis Heylighen, et l’organisation du travail des hackers, du moins, au niveau de l’indépendance et de la décentralisation. Cette question de l’intelligence collective est d’autant plus intéressante qu’on peut facilement penser que les interactions sur les réseaux sociaux n’encouragent pas l’émergence d’une intelligence supérieure. Bien sûr, on assiste à de beaux échanges sur les forums et les blogues, mais entre l’auto-censure sur Twitter (voir la spirale du silence 5) et le narcissisme des utilisateurs de Facebook (scusez-là), on assiste à une polarisation des opinions (que Boris Cyrulnik associe à de la paresse intellectuelle). Noam Chomsky, dans sa grande perspicacité, décrit un ami Facebook comme quelqu’un à qui nous racontons avoir mangé un sandwich et qui s’empresse de nous demander s’il était bon.

Références :

1. Gloria Origgi, 2008, Sagesse en réseaux : la passion d’évaluer
2. Pierre Lévy, Pour l’intelligence collective, dans Le monde diplomatique, Otobre 1995
3. James Surowiecki, 2004, The Wisdom of Crowds
4.Francis Heylighen,2013, Self-organization in Communicating Groups: the emergence of coordination, shared references and collective intelligence
5.Élisabeth Noëlle-Neumann,1974, La spirale du silence

l’image : Ant and Honey By Balaram Mahalder

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